Ils découvrirent alors avec effroi les récits d'lndiens décrivant un monde rempli de mauvais esprits, qui leur apparaissaient lors de séances débridées sous la forme de monstres sanguinaires aux crocs acérés.

Les missionnaires du Nouveau Monde eurent vite fait de classer ces chamans au registre des sorcières, qu'à la même époque on persécutait sans vergogne de l'autre côté de l'Atlantique. Et comme on les croyait possédés par le démon, ils furent systématiquement persécutés.

En Sibérie : des charlatans ou des fous dangereux

Au début du XVIIe siècle, des marchands russes qui voyageaient à travers la Sibérie, d'où ils ramenaient notamment de superbes peaux et fourrures, firent état de prêtres sorciers qui, là-bas, dans ces lointaines contrées, avaient pour habitude de danser en état de transe. C'est à cette époque que le terme " chaman " commença à percer en Europe, grâce notamment à Awakoum, archiprêtre et écrivain russe. Un siècle plus tard, des explorateurs russes rapportèrent pour la première fois que ces prêtres sorciers exerçaient également la fonction de guérisseurs. Mais celle-ci fut déniée, et les chamans considérés comme des charlatans qui abusaient de la crédulité des pauvres gens.

Au XIXe siècle, un scientifique du nom de Krivochapkine les décrit comme des malades mentaux. Psychologues et ethnopsychiatres poursuivent dans la foulée et s'engouffrent dans la brèche psychopathologique : on parle d'hystérie, de névrose, de schizophrénie... le chaman est " pathologisé " à tout va et se retrouve classé dans la
catégorie " dangereux déséquilibré ". Les séances singulièrement inquiétantes des chamans sibériens confortent cette thèse.

La réhabilitation commence avec Mircea Eiiade

Publié en 1951, Le Chamanisme et les techniques archaïques de l'extase de Mircea Eliade marque le début d'une ère de réhabilitation, à une époque où les Occidentaux commencent à ressentir le besoin de retrouver des liens avec l'aspect sacré de la nature. Le grand historien des religions s'y emploie à montrer que sur tous les continents les chamans sont en fait des hommes religieux et que leur transe n'est autre qu'une forme d'extase, commune aux mystiques de toutes les religions. Cette nouvelle approche captive de nombreux ethnologues, qui adoptent alors cette nouvelle vision du chamanisme. Dans le même temps, Claude Lévi-Strauss, avec la publication de son livre Anthropologie structurale, contribue lui aussi à réhabiliter les chamans.

Dans les années 1960, en plein mouvement hippie, les ethnologues se polarisent plus volontiers sur l'étude des peuples chamaniques d'Amérique et expérimentent sur eux-mêmes l'action des plantes ou champignons hallucinogènes, tandis que parallèlement chimistes et pharmacologues cherchent à en étudier et comprendre les effets neurophysiologiques. Ils ne sont pas les seuls. De jeunes étudiants, influencés par la contre-culture, décident d'aller eux aussi à la rencontre de ces peuples chamaniques... et de leurs plantes sacrées.

L'ethnologue Carlos Castaneda, quant à lui, présente le chamanisme comme un modèle de quête spirituelle. De cette fusion entre l'expérience psychique et la spiritualité naît le néochamanisme occidental.

 
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